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Retrouvez tous les épisodes de la série « Lettres de Kanesh » ici.
« Le quartier des marchands était là. » L’affleurement des pierres au milieu des champs laisse deviner l’enchevêtrement des maisons et des ateliers, traversé par des rues dont on distingue encore le tracé, entre les herbes folles. Le directeur des fouilles, Fikri Kulakoglu, professeur à l’université d’Ankara, pointe du doigt l’une des habitations dont les murs ont été partiellement remontés, en périphérie des quelques hectares fouillés de la ville basse : « C’est la maison de Shalim-Assur », dit-il.
D’une phrase, l’archéologue a résumé le caractère exceptionnel des ruines de l’antique cité de Kanesh, du trésor inestimable qu’elles ont livré. Ici, on peut connaître le nom du ou de la propriétaire de telle ou telle demeure, reconstruire l’arbre généalogique de familles entières, et accéder à mille détails du quotidien de ces femmes et de ces hommes qui vivaient à l’âge du bronze dans cette grande ville d’Anatolie, il y a quelque 4 000 ans ans.
Le miracle de Kanesh est d’abord celui d’une découverte, celle de milliers de tablettes d’argile qui forment les plus volumineuses et anciennes archives de documents privés de l’histoire de l’humanité. Des correspondances, des reconnaissances de dette, des contrats de mariage, des jugements, des algarades familiales, des plans de fraude fiscale, des appels au secours, des lettres du roi d’Assyrie en personne… Au total, plus de 22 000 tablettes portant des caractères cunéiformes, datées des alentours de 1900 avant J.-C., ont été exhumées. « Nous en retrouvons de nouvelles à chaque campagne de fouille », dit Fikri Kulakoglu.
De l’acropole, où ont été découvertes les structures de grands bâtiments officiels – dont un palais de plus d’un hectare –, l’archéologue montre l’étendue des champs sous lesquels dorment encore des quartiers entiers de la ville, qui comptait sans doute à cette époque de 25 000 à 35 000 habitants : seule une toute petite fraction en a jusqu’à présent été fouillée, bien que les excavations soient conduites sans interruption depuis 1948. « Quand on me demande combien de temps il faudrait pour achever les fouilles sur le site, je réponds généralement 5 000 ans, dit Fikri Kulakoglu. Et ce n’est pas une plaisanterie. » Des centaines, probablement des milliers de tablettes d’argile restent à découvrir ; le trésor de Kanesh est loin d’être épuisé.
Comment les premières pièces sont-elles sorties de terre ? Personne ne le sait. Vers 1880, quelques tablettes apparaissent sur les marchés d’Istanbul et les paysans qui les écoulent assurent qu’elles proviennent des alentours d’un petit village, Kültepe, à quelques kilomètres au nord-est de la ville de Kayseri, en Cappadoce. En turc, Kültepe signifie « colline de cendres » : aux abords du village se dresse un tell – un monticule fait de l’accumulation de ruines, des reconstructions successives, de poussière et du temps qui passe. Nul doute qu’il y a là un grand site archéologique, mais les tablettes cunéiformes supposées en être sorties sont immédiatement soupçonnées d’être des faux.
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